Thatcher, Sunderland et moi

Margaret Thatcher est morte et enterrée. Et une foule de souvenirs me reviennent. Ceux de mon année étudiante à Sunderland, dans le nord de l’Angleterre. J’ai été marquée par cette ville, plaie ouverte du thatchérisme.

Sunder-quoi ?

J’avais déjà voyagé avant d’aller passer un an comme étudiante au Royaume-Uni. Sauf que c’est là que j’ai vraiment été « dépaysée ».

J’ai découvert l’étranger, au sens propre du terme. Pas si loin de ma terre natale finalement.

Le Wearmouth bridge à Sunderland.

Je me souviens. Le coup de fil du secrétariat de l’université de Caen. Il n’y avait que trois places pour partir étudier dans un pays anglophone à l’époque.

Vous êtes quatrième. Mais on peut vous proposer d’aller à Sunderland.
– Sunder-quoi ?
– Sunderland, en Angleterre.
– C’est où ? C’est comment ?
– Je ne sais pas. »

Je devais répondre dans la journée. J’ai ouvert un atlas. J’ai fait des recherches sur Netscape. Le modem à 56K a frémi.

Ah, Sunderland est une ville industrielle, sur la mer du Nord, tout près de Newcastle, plus grande que Caen. Un taux de chômage élevé. Pas folichon.

J’ai imaginé débouler dans un film de Ken Loach. De toute façon, Klapisch n’avait pas encore fait L’Auberge espagnole.

Mines de charbon et chantiers navals

J’ai dit oui. Pour l’expérience à l’étranger. J’y ai passé l’une des plus belles années de ma vie. Riche, forte, déstabilisante, déroutante, faite de chocs, chaleureuse.

Sunderland vivait des mines de charbon et des chantiers navals. Autant dire qu’à la veille du passage à l’an 2000, elle vivait un peu moins. Les années 80 et l’ultralibéralisme de Margaret Thatcher étaient passés par là. Heureusement qu’une usine Nissan s’y était implantée.

De la chambre de ma résidence universitaire, j’ai alors vue sur le parking d’un immense bingo. Cette espèce de grand jeu de loto, je suis allée le tester un jour avec des amies.

C’est sérieux le bingo ! S’agit pas de rater un numéro. Je me souviens des dames avec leurs stylos tampons, faits tout exprès. Elles nous ont souri et aidé. Un peu, seulement. On « bingote » sans trop parler pour rester concentré !

Les maisons de briques

De l’autre côté de ma résidence : des petites maisons en briques rouges. Partout.

Elles s’alignent le long des rues, serrées les unes contre les autres. Pas sûre que ça suffise à les réchauffer du vent piquant. Quelques voitures, parfois hors d’âge, sont stationnées le long des trottoirs.

Une rue de Sunderland.

Une rue de Sunderland.Tous les jours, pour aller à l’université, je marche. Je prends le footpath (chemin piétonnier) qui passe derrière ces rangées de maisons.

Leurs cours sont ceintes de murs de briques, hérissés de tessons de bouteilles. Ici et là, les gens ont ajouté une pièce à leur logement. Des mini-extensions pour une cuisine ou une chambre.

Charity shops

Ici, je n’ai jamais vu autant d’ados et jeunes femmes enceintes ou en train de pousser des landaus. Elles sont plus jeunes que moi. Elles sont mères. Je me demande : sont-elles heureuses ? Voulaient-elles cet enfant ? De quoi rêvent-elles pour leur bébé ?

Une image me revient. Deux copines de 12 ou 13 ans, des gamines aux cheveux longs, dans leurs uniformes d’élèves. Un matin, elles sont en train de siffler une bouteille de rosé, près d’un pont. En douce. Tout ça dans un pays où on vous demande vraiment une pièce d’identité pour acheter de l’alcool.

Dans le centre-ville, on passe devant un grand nombre de « charity shops ». Ces boutiques caritatives vendent des objets et vêtements d’occasion, à petits prix. Au début, je mettais ces vitrines aux fringues un brin démodées sur le compte du (mauvais) goût vestimentaire anglais (oui, oui, j’avais embarqué avec moi un petit lot de clichés).

Mes impressions

Le Wearmouth bridge à Sunderland.Et ces impressions, dans la rue ou les transports en commun : ici, la ville et ses gens sont comme abandonnés, à l’écart d’une autre Angleterre plus pimpante; ici, il n’y a pas de mixité sociale, juste des gens modestes, qui vivent, avec ou sans emploi, dans une ville où les traces du passé industriel et des chantiers navals sont partout.

Attention, je ne dis pas que c’était totalement le cas, mais c’étaient mes impressions, moi l’étudiante qui venait de Caen, une ville moyenne française, dans tous les sens du terme. J’étais dépaysée, quoi. Peut-être plus qu’au Maroc ou en Pologne, car je ne m’y attendais pas. Et je l’aurais peut-être été dans d’autres coins de France.

Les rouge et blanc !

À Sunderland, un truc unissait toutes les familles : leur équipe de foot ! De 6 mois à 80 ans, ils portaient tous les maillots rouges et blancs de Sunderland AFC.

Les samedis de match à domicile, des familles, des copains traversaient le Wearmouth bridge, à pied, pour se rendre au stade. Impressionnant, ces groupes de gens aux mêmes couleurs. Et dans l’enceinte du stade ! Waouh !

Le Stadium of Light, à Sunderland.

J’y suis allée. Sunderland-Everton. L’affiche est fade. Pas l’ambiance et les chants des supporters. Et le stade est plein. Des gamins, des mamans, des messieurs.

Ici, on mange des frites, on chante, on vibre. C’est le Stadium of Light. Il porte bien son nom. Ici, on est fiers d’être de Sunderland. Surtout face aux ennemis si proches de Newcastle (Newcastle qui, dit en passant, passerait presque pour une ville cossue en comparaison avec Sunderland).

Le stade est neuf, grand, moderne, comme peu de choses à cette époque-là dans la ville. Pas mince, comme symbole, me dis-je alors. En plus, son nom est un hommage aux lampes des mineurs. Oui, oui, même ceux qui ont fait grève pendant douze mois face au gouvernement de Thatcher.

Cette énergie pour une équipe, c’est bien plus que le soutien à des gars (de différentes nationalités) qui jouent avec un ballon. C’est beau et un peu triste, aussi.

« Yes, sweetheart »

En fait, lorsque j’y étais étudiante, la ville débutait peut-être sa « renaissance ». Il y avait des grues et des projets ça et là. Elle semble avoir un peu changé depuis.

Je n’y suis pas retournée. Je reste avec mes souvenirs. Forcément subjectifs. Les fêtes, les cours où les étudiants prennent davantage la parole qu’en France, le vent qui pique la peau, les filles en jupe courte le soir qui semblent ne pas sentir le froid. Et les dames à la caisse des supermarchés qui vous lancent des « honey » et des « sweatheart »… :-)

Répondre à Fab Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *