Dans les pages d’un guide de voyage de… 1789
Je rouvre mon Dictionnaire géographique portatif de 1789 pour feuilleter les infos sur la Finlande, le Chili et l’île de Pâques. Un voyage dans le temps, où l’on croise des gens qui courent plus vite que les loups !
Nos yeux d’aujourd’hui
Il y a quelques temps, je présentais mon Dictionnaire géographique portatif du Britannique Laurent Echard avec des ajouts de Vosgien, un Français. Je possède la quinzième édition, publiée en 1789, de ce best-seller du XVIIIe siècle.
Le bouquin, comme un guide de voyage, n’est pas très épais. Il est fascinant, drôle et dérangeant à lire avec nos yeux d’aujourd’hui.
On y trouve aussi bien une courte description de la ville de Fougères, en Bretagne, qu’une évocation des Normands « spirituels […] adroits, ingénieux mais très chicaneurs » ou une entrée sur la Jamaïque « découverte par Christophe Colomb en 1494 ».
Dans un premier post, j’explorais quatre secteurs (Afrique du Sud, Bali, Polynésie et Californie), où je m’apprêtais à voyager. Cette fois, cap sur trois endroits où j’ai mis les pieds récemment : la Finlande, le Chili et l’Île de Pâques. Un point commun, on y décrit beaucoup les habitants de ces lieux…
La Finlande et sa drôle de langue
Je suis donc allée en Finlande. Dans le dictionnaire portatif, on y apprend que cette « province de Suède » « abonde en bestiaux, en pâturages et en poissons ».
Le finnois intrigue (il a eu cet effet-là sur moi aussi, je dois dire) : « On y parle une langue particulière. Tout l’artifice de leurs vers consiste en ce qu’il y ait deux ou trois mots qui commencent de la même façon » !
L’entrée sur la Laponie est bien plus longue. Elle débute par une description sur le climat :
C’est un pays extrêmement froid. On y a en hiver trois mois de nuit. Il n’y a ni printemps ni automne; il y pleut rarement en été et en hiver la terre est toute couverte de neige. Le ciel est ordinairement serein, l’air net et sain, à cause des grands vents continuels. »
Vient ensuite une liste d’animaux qui y vivent, dont les « plus utiles » les rennes. « Les Lapons se nourrissent de leur chair et de leur lait ; ils s’en servent pour se faire trainer sur la neige avec une vitesse incroyable. » On ne connaissait par le TGV au XVIIIe siècle. ;-)
Ils courent plus vite que les loups !
Les auteurs se penchent alors sur les populations… Péjoratif, le terme Lapon tend à aujourd’hui à être moins usité au profit de Same ou Sami utilisé par les habitants eux-mêmes. Dans le livre, on parle donc de Lapons. La description physique est, pour le moins, dérangeante. Elle en dit autant si ce n’est plus sur l’époque où elle a été écrite :
Ils ont le visage pâle et basané, le corps noir et comme roux, l’estomac large, le ventre petit, les cuisses et les pieds menus, et très propres à la course (ils vont quelquefois plus vite que les loups, les rennes), la tête grosse, le front grand et large, les yeux bleus, enfoncés et chassieux, le nez court et plat […] «
La suite est à l’avenant :
Ils sont colères, brutaux et fort paresseux et très superstitieux quoiqu’ils aient la plupart embrassé le christianisme. Ils sont lâches, craintifs, très honnêtes gens : à peine connaît-on parmi eux les larcins, les vols, les assassinats, etc. Ils vivent très longtemps sans que leurs cheveux blanchissent et sans avoir besoin de médecins. »
Le reste évoque les vêtements et le nomadisme.
« Embrasser le christianisme »… L’expression laisse un peu pantoise parce qu’il s’agit de christianisation forcée. Aujourd’hui, les communautés sames luttent encore pour leurs droits et pour leur culture.
L’Île de Pâques et ses citrouilles blanches
L’entrée du dictionnaire sur l’Île de Pâques (ou Rapa Nui), où j’ai passé quelques jours l’an dernier, est toute courte dans ce livre de 1789. Et on n’y parle pas des moais, ses célèbres statues.
Faut dire que le premier Européen a approché l’île en 1722 : le navigateur néerlandais Jacob Roggeveen y est arrivé le dimanche de Pâques. Cook y a conduit une expédition en 1774, et La Pérouse en 1786. Les connaissances sur l’île sont donc relativement fraîches lorsque ce dictionnaire a été écrit.
Sans compter que Rapa Nui est réputée pour être la terre habitée la plus isolée au monde, en terme de distance par rapport à ses voisins.
Voici ce qu’écrit le dictionnaire :
Pâques : nom d’une île de la mer du Sud, à 27 degrés de latitude et 267 de longitude. Le sol est rocailleux et ne produit pas de grands arbres. Les habitants y sont cependant assez nombreux et vivent de citrouilles blanches, patates, volailles, mais peu de pêche, qui n’est pas abondante sur les côtes. Il n’y a pas de port ; les vaisseaux n’y abordent que par nécessité, pour faire de l’eau. »
Une histoire, douloureuse menant à la quasi extinction de la population, devait encore s’écrire…
Le Chili et ses « Sauvages »
J’ai vraiment aimé ma découverte du Chili l’an dernier. De Santiago, la capitale, à Iquique, au nord. Une petite portion de ce long pays…
Ce que note aussi le Dictionnaire géographique: le Chili est un « grand pays et royaume de l’Amérique méridionale le long de la mer du Sud, d’environ 200 lieues de long et de 15 ou 20 de large ».
Et pourtant, il n’est là question que d’une portion de l’actuel Chili.
C’est un pays fertile et facile à cultiver. Il abonde fruits, arbres, plantes, maïs, bétail et mines de toutes espèces. »
Là aussi, les habitants y sont décrits en détails.
La plus grande partie est habitée par des Indiens, qui n’ont ni villes ni villages, et logent dans des cabanes. Ils sont fort adonnés à la polygamie et à l’ivrognerie. Ils n’ont ni rois ni souverains mais seulement des chefs de famille […] Ils sont belliqueux. Leur couleur naturelle est basanée, tirant sur celle du cuivre rouge, qui est la naturelle de toute l’Amérique. Ils sont de belle taille ; ils vont toujours à cheval, ce qui fait qu’ils y sont fort habiles. […] Une partie de ce pays est aux Espagnols, mais ils y sont souvent inquiétés par les Sauvages indépendants. »
Je cherche maintenant d’autres entrées liées au Chili. Valparaiso est alors une « petite ville », avec « un port fort fréquenté et défendu par une bonne forteresse ».
Un peu plus au nord, les habitants de La Serena (ou Coquimbo) sont décrits comme « bons, civils et honnêtes ». Au sujet d’Arica, qui a subi un tremblement de terre début avril 2014, il est déjà question de séisme… Il s’agit d’un port et d’une ville « autrefois considérée de l’Amérique méridionale dans le Pérou mais qui n’est plus qu’un village après le tremblement de terre, arrivé le 26 novembre 1605 ».
Ethnocentrisme
J’arrête là les exemples. Je note tout de même que les populations décrites ici font aujourd’hui valoir des revendications propres à leurs cultures et liées à leurs droits. Ce voyage dans le temps offre, bien sûr, une vision ethnocentrée. Elle a encore des conséquences aujourd’hui. Qu’il s’agisse de racisme, de conditions sociales, etc. Cette vision était pourtant proposée par des hommes érudits et ouverts sur le monde à leur époque.
On peut aussi s’interroger sur notre propre regard sur le monde d’aujourd’hui…
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