En fait, c’est comment Hiroshima ?
Je voulais aller à Hiroshima, au Japon. L’envie de comprendre, de voir cette ville qui fut détruite par la bombe atomique, cette ville toujours vivante.
Hiroshima après Fukushima
Allez savoir pourquoi, Hiroshima, je trouvais que ça devait être une étape de mon voyage au Japon en août 2011. C’était le premier été après la catastrophe nucléaire de Fukushima. Y’ avait comme un fil conducteur…
Sans doute, je voulais y aller pour essayer de comprendre la bombe, appréhender cette horreur, voir aussi qu’une ville et ses habitants ne sont pas condamnés au passé, qu’Hiroshima est une cité d’aujourd’hui bien vivante.
Détour normand
Je me dis que d’avoir grandi à Caen, en Normandie, y est sans doute pour quelque chose. Caen fut détruite par les bombardements alliés en 1944.
Pour moi, se promener sur les plages du Débarquement, dans les cimetières américains, visiter le Mémorial de Caen, c’était normal : ça rendait le passé réel, ça m’aidait à comprendre la guerre davantage qu’avec des mots, ça a sans doute contribué à me faire poser un regard ouvert, critique et avide de lucidité sur le monde.
Cela dit, j’étais agacée de voir lors de reportages télé qu’on enfermait encore ma ville dans ce passé, qu’elle se résumait à cette place dans l’histoire. Un jour, un reportage disait quelque chose du genre : « Les cicatrices ne sont pas refermées. La ville est toujours tournée vers son traumatique passé. »
Pfff… Ben non, ces quelques mots ne correspondaient absolument pas à la ville où je vivais, sortais avec mes amis, allais en cours, cette ville où mes parents travaillaient, cette ville où le quotidien n’avait rien à voir avec le « traumatique passé ».
Alors, c’est sans doute ces deux facettes que je voulais aller voir à Hiroshima.
Il fait chaud
D’abord, ce que je retiens est d’une trivialité désarmante : en ce mois d’août 2011, il fait chaud, très chaud à Hiroshima. Comme ailleurs dans le pays, la clim’ est éteinte ou au minimum car les centrales nucléaires sont à l’arrêt après le tsunami à Fukushima.
Puis, il y a le tram bien pratique pour circuler dans les rues de la ville.
Avec mes deux compagnons de voyage, on a aussi passé plusieurs heures dans une immense librairie : une grande surface, sur plusieurs étages et ouverte le soir.
On a cherché les bouquins en anglais. On a tourné les pages de livres en japonais au graphisme très séduisant. J’ai remonté tous les rayons de la presse magazine.
C’est incroyable, il y a des revues sur tout, pour tous, hyper ciblées.
Le rayon cuisine fait cinq mètres de long, celui sur la plongée un ou deux mètres (faut le faire quand même autant de magazines sur la plongée !), celui des voyages est très long. Avec les images, je navigue dans les clichés sur la France… Et je ne parle pas des mag’ sur les groupes de musique, les ados…
La ville est animée le soir. Dans les restos, et les bars. On a mangé des super fruits de mer, de délicieux sashimis.
On a goûté aux okonomiyaki, ces espèces de crêpes pleines de nouilles et d’autres choses, cuites sur des plaques chauffantes. Hiroshima est aussi fière de son équipe de base-ball, les Carp, dont on voit le logo en divers endroits. C’est aussi une ville portuaire et industrielle, avec l’usine Mazda.
L’emblématique dôme
Quant à l’histoire de la bombe atomique… Je vais vous décrire ce qu’on voit autour du parc du Mémorial de la Paix. Après des immeubles, derrière des arbres, on est arrivé au dôme de la bombe A (Gembaku domo). C’est le bâtiment désormais emblématique de la ville. Sa structure a survécu à la bombe atomique, le 6 août 1945, à 8h15.
Cet édifice – un palais de l’industrie que j’imagine un peu comme une chambre de commerce et d’industrie – était quasi sous le point zéro de l’explosion. Il est l’un des rares à être resté debout. Malgré une controverse après guerre, il a été décidé de le conserver pour la mémoire.
Des gens, touristes japonais ou étrangers, se font prendre en photos devant. C’est un peu bizarre.
Les 1000 grues de Sadako
Il faut traverser la rivière pour aller dans le parc du Mémorial, proprement dit. Là, se trouvent différents monuments. Nous allons vers la statue des enfants tués par la bombe. On regarde longuement les milliers de guirlandes de grues en origami apportés par les écoliers japonais ou étrangers.
Elles rappellent l’histoire de Sadako Sasaki, une fillette tombée malade dix ans après la bombe et morte de leucémie. Selon une légende, elle pensait que si elle arrivait à plier mille grues de papier, elle pourrait être guérie. Elle n’eut pas le temps de finir. Ses camarades de classe continuèrent, suivis par de nombreux autres élèves.
Ces guirlandes sont belles et émouvantes.
De l’eau contre la soif
Plus loin, il y a le Cénotaphe. Sous cet arc se trouvent les noms des victimes de la bombe A et cette inscription : « Dormez en paix: l’erreur ne se répétera pas. » Au pied, des gens déposent des bouteilles d’eau, car nombre des victimes ont ressenti une intense soif après l’explosion…
A travers le Cénotaphe, on voit la flamme de la paix, qui ne s’éteindra que lorsque la dernière des armes atomiques aura disparu de la planète, et, dans l’alignement, il y a le dôme.
Les télégrammes
En se retournant, on va vers le musée de la Paix. La première chose sur laquelle je me penche, ce sont tous les télégrammes de protestation adressés par les maires successifs d’Hiroshima aux chefs d’Etat qui ont poursuivi les essais nucléaires. Jacques Chirac en a reçus. Eh oui, Hiroshima milite pour l’éradication des armes nucléaires.
Même si la muséographie ne me semble pas géniale, on ressort de ce musée marqué. Il décrit les effets et les horreurs de la bombe. Il y a eu les morts par l’éclair lumineux et le rayonnement thermique avec les peaux carbonisées ; les blessures et les destructions causées par l’explosion et le souffle ; et les dégâts et les décès liés à l’irradiation avec les vomissements, la perte subite des cheveux, puis les cancers…
Le musée, la montre, le tricycle
Le musée en tant que tel raconte l’arrivée de cette bombe. On voit que la ville avait été préservée des bombardements « conventionnels » américains jusque-là. Le musée dit qu’Hiroshima fut volontairement épargnée pour mieux évaluer l’impact de la bombe A. C’est toujours effrayant d’y songer.
Mais j’ai aussi été troublée par le fait que le musée n’évoque pas le rôle du Japon pendant la Seconde guerre mondiale… Bon, d’accord, il est centré sur la bombe, mais une perspective historique un peu plus large manque… Même si rien ne justifie son utilisation, elle n’est pas tombée « hors contexte ».
Les ravages de la bombe sont racontés par le biais des histoires de certains habitants, leurs objets… Une montre arrêtée à 8h15, l’ombre d’un homme projeté à jamais sur un mur par l’effet du rayonnement, le tricycle d’un enfant mort la nuit suivante, des ongles poussés très longs, le récit de la pluie noire… C’est dur.
Très émouvant aussi les témoignages des hibakusha, les survivants. Ils ont souffert de discrimination après. On ressort de là, pensifs et un peu différents.
Lire Gen d’Hiroshima
En fait, en visitant ce musée, j’ai beaucoup pensé à ce manga dont je ne peux que recommander la lecture. Il s’agit de Gen d’Hiroshima, de Keiji Nakazawa. Tout ce qui est dans le musée je l’avais lu là, à travers l’histoire d’une famille qui survit au bombardement et de ce garçon Gen.
Sous des traits ronds et des caractéristiques typiques du manga, le récit est plein d’humour, de désespoir, de courage, d’énergie. Il fait une description fort juste de l’enfer d’après la bombe.
Bref, après avoir visité le musée d’Hiroshima, j’encourage encore davantage mes connaissances à lire cette BD très réussie. Un moyen de regarder le monde avec lucidité.
Et je ne regrette pas d’avoir fait le détour par Hiroshima.
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