Mon tour du monde en… 1789
Lors de mon voyage, je vais aller dans des pays habités par des « Idolâtres », sur des îles « très abondantes » et « fertiles en toutes sortes de grains et de fruits » … selon mon Dictionnaire géographique portatif de 1789 !
Le GPS du XVIIIe siècle
Je vais voyager pendant quatre mois, à partir d’août. Mon petit tour du monde passe par l’Afrique du Sud, Bali, la Polynésie et la Californie. Forcément, je me documente. J’ai eu envie de jeter un oeil dans la vieille édition que je possède du Dictionnaire géographique portatif, de Laurent Echard avec des ajouts de Vosgien. Un bouquin qui fait voyager dans le temps !
Il est sous-titré : « Description des royaumes, provinces, villes, évêchés, duchés, comtés, marquisats, villes impériales, ports, forteresses et autres lieux considérables des quatre parties du monde. » On y trouve les coordonnées géographiques des endroits cités, avec latitude et longitude, les distances en lieues… Bref, c’est le GPS ou l’iPhone d’hier.
« Les sauvages »
Surtout, j’adore le feuilleter et découvrir des descriptions croquignolettes de lieux familiers, des références aux « sauvages » de lointaines parties du monde, aux moeurs des uns et des autres, des descriptions racistes et – évidemment – ethnocentrées… Intéressant et étonnant à lire avec un oeil d’aujourd’hui. Mon édition – la quinzième de ce best-seller du XVIIIe siècle – date de 1789. Nous sommes avant la Révolution française. C’est l’année de la mutinerie du Bounty, dans le Pacifique, celle de l’investiture de George Washington, premier président des Etats-Unis…
La Cafrerie…
En 2012, mon tour du monde va débuter dans le sud de l’Afrique. J’ouvre le dico portatif. Evidemment, « Afrique du Sud », ça n’existe pas. Mais je trouve « Cap de Bonne Espérance ».
« Cap à l’extrêmité méridionale de l’Afrique, découvert par les Portugais. Les Hollandais y bâtirent un fort et s’y établirent en 1650. Depuis ce temps-là, les Anglais et les Français et les autres Nations qui y abordent sont obligés de leur payer le droit d’encrage et autres péages. Il y a environ 30 lieues de pays habité par des Hollandais et des Français réfugiés. »
Suit une description de l’endroit.
« Il y croit quantité de froment, d’orge, de pois et de fruits de diverses espèces. On y a planté des vignes qui produisent de fort bon vin. Les plantations produisent tous les ans un gros revenu aux Hollandais à cause des commodités, des vivres et des munitions que leurs vaisseaux et ceux des autres Nations y trouvent et de la grande quantité de cuir et de beurre qu’ils ont presque pour rien des sauvages des environs. »
Dans le dictionnaire, je cherche ensuite à Cafre, me disant bien qu’il y a un lien. Je tombe sur la « Cafrerie ». C’est ça.
« La Cafrerie, grand pays d’Afrique dans sa partie méridionale bornée au nord par la Nigritie et l’Abissinie, à l’ouest par une partie de la Guinée, le Congo et la mer, au sud par le Cap de Bonne Espérance, à l’est par la mer. On le divise en plusieurs royaumes, presque tous habités par des Idolâtres. »
Ces royaumes sont ensuite listés. Avec une conclusion :
« Ces peuples sont appelés Cafres, mot arabe, qui signifie, infidèles. »
« L’île abonde en riz »
Changement de continent. Direction l’Asie. Plus précisément Bali où je compte m’arrêter en septembre.
« Baly, Balya, capitale de l’île et du royaume du même nom dans les Indes. L’île est extrêmement peuplée et abonde en riz et en toutes sortes de fruits. Les habitants sont noirs et fort belliqueux. Le Roi se fait voir rarement et ne permet point qu’on ouvre les mines d’or du Royaume. Ses sujets sont idolâtres et quand ils meurent, on brûle sur leurs bûchers celles de leurs femmes qu’ils ont le plus aimées pendant leur vie. Cette île est à l’est de Java. »
J’espère que les Balinais ne seront pas trop belliqueux à mon égard ! ;-)
La mer du Sud, c’est quoi ?
Puis, je m’envolerai pour la Polynésie française, en passant par Tahiti avant de découvrir d’autres îles de l’archipel de la Société. Là, le texte est tout court. Pas étonnant, les Européens n’ont visité Tahiti que quelques dizaines d’années auparavant l’édition de mon dictionnaire.
« Taiti, île de la mer Pacifique, située à 17 46 de latitude méridionale et à 228 16 36 de longitude. Elle est bien habitée et très fertile. Elle a environ 20 lieues de long. »
Le texte renvoie à « Mer du Sud ». Je rebrousse quelques pages. Voilà une grande description de cette « Mer Pacifique ou du Sud ». Il y est question de la nouvelle Zélande où les habitants sont « farouches et cruels », avant que ne soit évoqué…
« Les îles d’ouest Tahiti et de Middlebourg, celles de la Société, celle des Amis, etc, sous un ciel plus doux, dont les habitants ne se font pas grand scrupule de manquer de foi et de voler les Européens qui y abordent. »
Là, surprise, l’auteur trouve des circonstances atténuantes à ces habitants.
« Cela n’est pas étonnant. Ils les voient abuser de leurs femmes et de leurs filles, abattre leurs arbres fruitiers pour en prendre les fruits et en enlever le bois dont ils construisent leurs cabanes. Ils ne reçoivent que des bagatelles en échange de leur poisson et de leurs animaux domestiques, qui consistent en cochons, en chiens et en volailles : ils tâchent de prendre leur revanche. »
Fallait-il aller jusqu’à Tahiti ?
Le texte continue par une surprenante réflexion, qui dénote au milieu de descriptions géographiques.
« Les voyageurs nous peignent ces îles comme très abondantes et faisant vivre leurs habitants dans l’aisance. Mais s’il fallait un palais pour loger chaque famille, s’il fallait sacrifier la nourriture de quatre hommes pour faire la sauce d’un plat de légumes, ils seraient dans la plus affreuse misère.
Ces découvertes ne valent pas la peine qu’ont eue ceux qui les ont faites : elles ont été fatales à ceux qui ont eu le malheur d’être découverts, les Européens en ayant tué plusieurs; elles l’ont été aussi à ceux qui les découvraient, indépendamment de ceux qui sont péris dans des voyages de si long cours, plusieurs Européens ont été pris et mangés par des sauvages. »
« Ils adorent la Lune »
Après, j’irai en Californie, aux Etats-Unis. Mon dictionnaire portatif a été publié quelques années après l’implantation des premières missions espagnoles dans l’actuelle Californie. C’est bien avant la ruée vers l’or.
« Californie, grande presqu’île de l’Amérique septentrionale au nord de la Mer du Sud. Le territoire y est très fertile en toutes sortes de grains et de fruits. Aux mois d’avril, de mai et de juin, il tombe avec la rosée une espèce de manne qui se congèle et s’endurcit sur les feuilles des roseaux sur lesquels on la ramasse; elle a la douceur du sucre. L’air y est très sain. La mer et les rivières y sont très poissonneuses. »
On va presque apprendre que les rues y sont pavées d’or ! ;-) Suit un petit mot sur les habitants :
« Le pays est fort peuplé dans les terres, surtout du côté du nord. Mais il n’y a point de maisons; les habitants se mettent sous les arbres pendant l’été et dans des trous creusés en terre pendant l’hiver. Ils sont très vifs et naturellement railleurs; ils adorent la Lune. Chaque famille se fait des lois à son gré. Leur occupation la plus ordinaire est de filer, hommes et femmes. »
Voilà pour ce petit voyage en 1789, vu d’Europe… Vivement le vrai départ !
Et si vous voulez lire davantage de ce dictionnaire, voilà une version de 1749, en ligne.
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